Extrait de
Dunkerque Paradise

Le jour se levait à peine. L’eau était fraîche. Froide même. Heureusement, la houle n’était pas très forte et le vent assez modéré. La dizaine de jeunes hommes présents enfilèrent chacun un gilet de sauvetage et poussèrent le bateau pneumatique rouge de six places vers les premières vagues, avant de monter dedans. Le plus costaud propulsa l’embarcation d’un coup de reins vigoureux puis grimpa par le tableau arrière en s’agrippant au bras d’un camarade. Le moteur hors-bord mis en position, ils lancèrent l’engin, de faible puissance. Le gonflable, trop chargé, progressait péniblement.

Depuis plusieurs mois maintenant, des migrants tentaient la traversée de la Manche pour rejoindre les côtes anglaises sur ces small boats, au risque de leur vie. Ils avaient déjà franchi la Méditerranée, les Alpes, étaient passés par Paris. Il ne restait qu’une étape pour atteindre leur eldorado, retrouver un proche ou réaliser leur projet dans un pays dont ils parlaient la langue, parfois approximativement, et où l’économie informelle, très développée dans le cadre de son modèle ultralibéral, le permettait.

Il y avait ceux qui essayaient de s’introduire clandestinement dans les camions vers l'Angleterre, à Calais, par le tunnel, au sud de la ville, ou sur les ferries à partir du port. Mais soixante-dix kilomètres de grillage, déployé au fil des mois, autour des installations, cela rendait la chose plus difficile. A moins de solliciter un réseau. Et de viser d’autres points de départ depuis le littoral, du côté de Dunkerque, par exemple.

Désormais, acceptant de se mettre là aussi sous la coupe de passeurs qui leur extorquaient leur argent, les migrants jetaient tous leurs espoirs dans ces embarcations de fortune, au mépris du danger. La perspective du Brexit et du renforcement des contrôles amplifiait la tendance depuis plusieurs mois. Quelques-uns, sans moyens, se lançaient même dans des tentatives à la nage. Mais en hiver, cela n’était pas envisageable.

Mais avant de chercher à traverser, de quelque manière que ce soit, il fallait éviter la police, se cacher ou attendre dans des camps improvisés, par exemple du côté de Grande-Synthe, dans l’agglomération dunkerquoise. Des associations essayaient bien d’apporter une aide logistique et un peu de réconfort. Soutien international était l’une d’elles, basée à Dunkerque. Elle recevait des dons d’entreprises locales et de particuliers, ses membres assuraient la distribution de couvertures, de vêtements, de nourriture. Son président, Igor Sontag, dirigeait une société spécialisée dans les produits bio surgelés et crèmes glacées, Frigébio, et était actionnaire principal d’une autre, Tutti Frutti Import, qui faisait dans l’importation de fruits tropicaux.

Le bateau pneumatique s’éloignait maintenant, suivant les ondulations de la houle, le nez soulevé à chaque vague, fragile ombre chinoise découpée dans l’aube naissante.

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